mardi 20 novembre 2012

Ce n'était qu'un rat............



J'ai lu  ce texte sur le blog d'une jeune-fille qui comme moi aiment les rats et l'ai trouvé tellement bien que je ne peux m'empêcher de le copier dans mon blog. Juste et émouvant, et j'y retrouve ce que j'ai pensée et éprouvée à chaque fois qu'un de mes petits compagnons disparaît.
Le voici:


« Ce n’était qu’un rat… »

La phrase. Banale, lâchée de but en blanc. Celle qui tombe au détour d’une conversation, parce que, dans un moment d’égarement, on aura osé dire « non, ça ne va pas très fort, mon rat est mort ce matin ».

Cette phrase, on l’a tous entendue. Peut-être pas exactement de la sorte, mais une variante, plus ou moins délicate : « ce n’était qu’un animal », « allez, va, ce n’est pas grave, tu en as d’autres », « tu ne vas pas pleurer pour un rat, quand même ? ».
Et également, le si tristement populaire « pourquoi le soignes-tu ? Tu aurais tout aussi bien fait d’en acheter un autre, ça te reviendrait moins cher… »


De quel droit peut-on juger de la valeur de la vie d’un être sensible, aussi petit soit-il ?
En quoi le prix dérisoire affiché à l’animalerie doit-il être un frein aux soins vétérinaires ?
Comment ose-t-on occulter la souffrance de milliers de petits animaux sous le couvert de l’impopularité de leur espèce ?
En quoi « un rat » aurait-il moins d’importance que le sacro-saint chien ou chat du foyer familial, animal vénéré s’il en est, et bien trop souvent victime silencieuse des dérèglements psychologiques de l’homme ?
Et si ce n’était pas « qu’un rat », avez-vous un seul instant pensé à l’attachement qui peut lier deux êtres, aussi différents soient-ils ?


On ne reprochera pas à M Pichon et à sa famille de pleurer le départ de Médor. C’est normal : imaginez-vous subir l’absence soudaine de ce fidèle compagnon qui a vu grandir les enfants, celui qui venait se coucher au pied du canapé pendant le journal télévisé du soir et qui jappait de contentement chaque soir au retour de ses maîtres… Le vide ressenti est tangible, il fait mal. Il est socialement accepté.

On ne reprochera pas à Mme Dupond de faire le deuil de Félix, cette ombre de toujours qui la suivait partout, l’affectueuse boule de poils qui ronronnait sous les caresses et venait se pelotonner sur ses genoux lors de ses siestes dominicales. C’est naturel : imaginez-vous seul, sans autre présence que celle de ce petit être… Forcément, on s’y attache. C’est socialement acceptable.


On ne leur reprochera pas leur chagrin. On ne leur fera pas de remarque désobligeante sur les frais engagés chez le vétérinaire. On ne les regardera pas d’un air dédaigneux lorsqu’ils évoqueront les beaux souvenirs de leur animal, lorsqu’ils parleront de ce lien, de cet affect.
Et on les comprendra, même. On posera parfois une main amicale sur leur épaule et on dira, avec un peu de pudeur, « je suis désolé, bon courage ».


Pourquoi reproche-t-on systématiquement aux propriétaires de NAC de souffrir du départ de leur animal ? On chasse leur peine d’un revers de main, cette peine bien inconvenante.
« Allons, voyons, pleurer pour un RAT ? Quelle idée… »
Avec un regard incrédule, quelque peu désapprobateur. Avec une nuance de défi voire d’insulte. Avec un soupçon de moquerie.


C’est bien connu : les rats, c’est sale, c’est moche, c’est agressif, c’est nuisible et ça ne répand que malheurs et maladie. Pourquoi diable certains illuminés osent-il recueillir de telles bestioles, les nourrir, les choyer ? (oui, hein, pourquoi donc ?).

Et si on regardait les choses différemment ? Si on acceptait de considérer chaque vie pour ce qu’elle est, en se foutant des étiquettes collées depuis des siècles, bâties sur des préjugés, sur des croyances dépassées, sur des méprises ?
Si on se rendait compte que ces « sales bestioles » sont dotées d’une sensibilité, d’une intelligence, d’une capacité à comprendre bien des choses que l’on se refuse à voir ?
Si on omettait, ne serait-ce que cinq minutes, ses bons vieux principes bien ancrés, pour oser regarder de l’autre côté du miroir et se dire que oui, peut-être, les animaux aussi ont des sentiments et peuvent éprouver de la douleur, de la joie et de l’affection ? Et si…


Nombreux sont les vétérinaires à dire que les propriétaires de rats pleurent souvent plus que ceux de chiens et chats. Parce qu’ils les aiment. Parce qu’ils les considèrent comme bien plus que de simples animaux-kleenex qui s’achètent sur un coup de tête et se jettent une fois la lassitude installée. Parce qu’ils ont pris le temps d’apprendre à connaître ces petits êtres.
Leurs petites manies. Leurs petites habitudes. Leurs petites différences qui les rendent uniques. Leurs petites vies. Et leur immense capacité à dispenser sans retenue leur affection.

Étrange ironie que celle où le nuisible est plus authentiquement aimé que le familier, adopté « parce que c’est ce que les gens font », parce que c’est normal, socialement acquis.


Hier encore, en repensant à ce coup de fil, je me suis maudite d’avoir osé parler de leur départ. Cinq en un mois. La peine était là, brûlante et demandant à sortir.
« tout va bien ? »
« non, ça ne va pas très fort, mon rat est mort ce matin. J’en ai perdu cinq en très peu de temps, ils me manquent. »
« ce n’étaient que des rats. Tu en as d’autres, puis de toute façon, à quoi cela peut-il bien te servir d’en avoir autant… il y a bien plus grave. »

Bien sûr qu’il y a plus grave. Bien sûr qu’il y a pire. Seulement, il y a des échelles de douleur, des échelles de sensibilité, sur lesquelles un individu peut s’inscrire à un instant T. Ce qui lui paraît insurmontable sur le moment sera une douce amertume quelques mois plus tard, tout comme ce qui est perçu comme insurmontable par l’Autre (celui au bout du fil, qui accuse) peut ne pas toucher chaque personne de la même façon.

La faim dans le monde, pardon, mais à ce moment-là, je m’en foutais. Non pas que ce soit un sujet qui m’indiffère, bien loin de là. Simplement, ma condition d’humaine ne me permet pas d’être sur tous les fronts, de pouvoir (ou même vouloir) porter toutes les peines du monde sur mes épaules, et encore moins quand une peine immédiate me touche. Oui, mais… « il y a bien plus grave ».

Alors on prend sur soi, on marmonne des platitudes. On s’excuse presque d’avoir osé parler de ça, d’avoir eu l’outrecuidance de porter dans son cœur la vie d’une petite créature victime de tant de préjugés.
On change de sujet, on parle de la pluie et du beau temps. On se jure qu’on n’importunera plus jamais quiconque avec ses états d’âme.

Et puis, plus tard, on pleure, un peu, en se cachant.


Parce qu’on a le cœur en miettes. Après tout, ce n’était qu’un ami…


Z'orange Mecanique
http://www.zorange-mecanique.fr/ce-netait-quun-rat/